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Deuxième partie Chapitres 4 et 5

Publication : (actualisé le ) par Le directeur

IV Récit de Max Doutreleau, onze ans, frère de Yann

— On est arrivés, qu’il a dit, Fabien, il reste juste quelques kilomètres. La ville s’appelle Périgueux, on va marcher jusqu’à la gare et on prendra le train.
Le jour se levait juste. De chaque côté de la voie ferrée, des maisons grises sont sorties de la brume petit à petit. Dedans il y avait des gens qui dormaient au chaud sans doute. Fabien aurait pu dire qu’il restait douze kilomètres, ou cent vingt, ou quatre millions : pour moi et Victor, c’était du pareil au même. On a regardé nos jambes pour voir s’il en restait encore, si elles étaient pas usées jusqu’aux genoux. Il en restait encore... Elles marchaient toutes seules, nos jambes. Est-ce qu’elles allaient seulement nous obéir et s’arrêter quand on le leur demanderait ?
Devant la gare, il y avait une grande place. On s’est cachés vers des poubelles. Les grands et les moyens ont parlé longtemps entre eux, et avec Yann bien sûr. Victor et moi, on s’est recroquevillés l’un contre l’autre parce qu’on avait très froid maintenant qu’on marchait plus. Je comprenais bien ce qui les faisait hésiter, les grands : c’est qu’ils avaient jamais pris le train et qu’ils savaient pas comment on doit faire pour les billets et tout ça. C’est sans doute pas bien compliqué, mais quand on sait pas...
À la fin, Pierre a pris le cabas bleu, il l’a déchiré sur dix bons centimètres, Yann a grimpé dedans, Pierre l’a calé sous son bras et tous les deux sont entrés dans la gare. L’horloge marquait sept heures et demie.
Quand ils sont ressortis, il était juste huit heures. Pierre nous a distribué les billets pour Bordeaux. Il y en avait que trois, mais quand on est jumeaux, ça suffit pour six, il a dit.

V Récit de Victor Doutreleau, onze ans, frère de Yann

Ça sentait pas très bon vers les poubelles, mais au moins on marchait plus. Je me suis calé contre Max, dos contre dos et on a essayé de se réchauffer en attendant que les grands décident quelque chose. J’ai fermé les yeux : des voitures s’arrêtaient, d’autres démarraient, on entendait claquer les portières. C’était comme dans un rêve. Sans doute que ça fait ça quand on dort pas de la nuit. La veille j’avais pleuré un peu au petit pont
de pierre. J’aurais bien voulu être courageux, mais c’était plus fort que moi, j’ai pas pu m’empêcher. Pas à cause des pieds qui me faisaient mal, ni des orties, mais parce que je me disais : le premier qui pourra plus avancer, c’est toi. Et comme ils voudront pas
t’abandonner, eh ben, on s’arrêtera tous, on n’arrivera jamais à l’Océan, et ce sera ta faute.
Heureusement qu’on a vu passer le train juste après, ça nous a redonné de l’espoir et on est repartis.
Paul m’a porté sur son dos pendant plus d’un kilomètre. À un moment, on est passés devant une maison éclairée. Une grosse dame a écarté le rideau et m’a regardé sans se gêner.
— Tu veux ma photo ? j’ai marmonné.
— Quoi ? a répondu Paul.
— Rien, je lui ai dit, parce qu’il avait pas vu la dame, que c’était trop long à expliquer et que ça avait pas d’importance...
Un peu plus loin, il est tombé en avant et s’est mâché le genou. Il est comme ça, Paul, il dit pas qu’il est fatigué, il attend de tomber et voilà . J’ai eu un peu honte et je me suis remis à marcher.
Quand on est arrivés à Périgueux, il faisait jour et j’avais plus mal du tout. Les barres rouges sur mes pieds étaient devenues noires et un peu bleues aussi. Je crois que je me suis endormi, aux poubelles. Il fallait en avoir envie, vu comme ça puait et le froid.
Juste avant, Pierre a fait exprès une fente dans le sac en déchirant la couture avec ses mains, il a mis Yann dedans, et ils sont entrés dans la gare.

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